Lettre d'Allemagne

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La présidentielle vue d'Allemagne
pascalthibaut.substack.com

La présidentielle vue d'Allemagne

Panique en 2017, sérénité en 2022

Pascal Thibaut
Apr 9
4
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Il y a cinq ans, toute l’Allemagne s’inquiétait. Impossible quasiment de mettre un pied dehors pour un Français, sans être interrogé, même par des personnes peu férues de politique, sur le risque d’une victoire de Marine Le Pen. Quelques mois après l’élection de Donald Trump à laquelle personne n’avait cru, l’impossible pouvait-il se reproduire en France? Pour le principal partenaire de notre pays, une victoire de Marine Le Pen, à l’époque en faveur d’un Frexit, aurait conduit à une implosion de l’Union européenne et gravement détérioré la relation franco-allemande. Une véritable “Macronmania” se répandait alors chez nos voisins. Le candidat surgit de nulle part devenait une sorte de messie qui devait sauver la France. L’annonce de réformes et un cours européen affiché achevaient de séduire outre-Rhin.

“Le sauveur” à la une du magazine “Die Zeit” au printemps 2017

Cinq ans plus tard, la panique de 2017 a disparu. Pourtant cette année, le score de l’extrême-droite lors de cette présidentielle sera plus élevé qu’il y a cinq ans. Et l’écart au deuxième tour en cas de duel Macron/Le Pen se resserre. Mais les Allemands semblent sereins. Les médias ont fait leur travail mais la couverture cette année est moins importante. La guerre en Ukraine pour des raisons évidentes occupe la place principale dans la couverture de l’actualité internationale.

Le quotidien “Süddeutsche Zeitung” (voir article cette semaine ci-dessous) commente ce samedi: “Il serait urgent qu'on comprenne en Allemagne que les chances de victoire de Marine Le Pen sont cette années sensiblement plus importantes qu'en 2017 (...) Pour l'Allemagne, son élection aurait des conséquences beaucoup plus radicales que celle de Trump en 2016. Le Pen ne gagnerait pas parce que la majorité des Français est convaincue par son programme mais parce que le système politique français est à bout de souffle. Le bilan de Macron n'est pas si mauvais. La France ne se porte plas plus mal qu'en 2017. Mais sous une surface de stabilité, le pays est traversé par de nombreuses frustrations. La France ressemble à une bombe à retardement que les présidents se refilent dans l'espoir qu'elle explose au nez de leur successeur. 2022 sera-t'elle l'année du bigbang? Réponse le 24/4"

“L’onde de choc” cette semaine dans le quotidien “Süddeutsche Zeitung”

La Macronmania quelque peu aveugle d’une large partie de la population, des médias et de la classe politique à l’exception des extrêmes a disparu. Les bilans du président sortis dans les médias sont nuancés qu’il s’agisse de la politique intérieure ou étrangère d’Emmanuel Macron. Il n’empêche : dans les milieux politiques berlinois, il est évident que, malgré le devoir de réserve qui prévaut, la réélection d’Emmanuel Macron est soutenue par beaucoup. Non seulement pour éviter une victoire de Marine Le Pen. Mais parce que l’engagement européen du président français reste pour beaucoup le marqueur déterminant vu d’ici. Il est perçu comme essentiel pour la relation franco-allemande comme pour l’Europe dans une période cruciale.

Les conséquences de la guerre en Ukraine

-livraisons d’armes :

l’Allemagne est critiquée depuis des semaines pour son positionnement global. Berlin est perçu comme le “Bremser”, le pays qui traine des pieds, freine des quatre fers avant, sous la pression, de lâcher du test. Cela vaut aussi pour les livraisons d’armes. L’Allemagne a corrigé ses premières prises de position et sa ligne (pas toujours aussi claire) voulant qu’on ne livre pas d’armes à des pays en crise. L’Ukraine a finalement reçu des armes anti-char, des lance-missiles et des missiles sol-air de l’Allemagne Mais les stocks de la Bundeswehr, déjà sur les rotules, s’épuisent. “Nous sommes entre-temps arrivés à une limite” estime la ministre de la Défense Christine Lambrecht. Les Ukrainiens sollicitent de Berlin des blindés Marder. La société Rheinmetall pourrait en retaper une vingtaine en quelques semaines. Mais la livraison n’est pas acquise. Selon le quotidien “Welt am Sonntag”, Kiev a reçu une importante offre de la société allemande Krauss-Maffei Wegmann pour un autre type de blindés.

-la politique russe de l’Allemagne au banc des accusés :

“Nous avons échoué” peut-on lire ci-dessus à la une du quotidien populaire “Bild Zeitung” après les déclarations cette semaine du président Frank-Walter Steinmeier. “Mon adhésion à Nord Stream 2 était clairement une erreur. Nous avons choisi une voie à laquelle la Russie ne croit plus et contre laquelle certains de nos partenaires nous avaient mis en garde”.

Angela Merkel est aussi dans le collimateur des médias pour sa politique russe qui aurait trop misé sur le dialogue avec Poutine. En début de semaine, une porte-parole de l’ex-chancelière a déclaré que cette dernière ne remettait pas en cause son refus d’une adhésion de l’Ukraine (et de la Géorgie) à l’OTAN en 2008. Angela Merkel attaquée aussi en Ukraine a été invitée par le président Zelensky à se rendre à Boutcha (avec Nicolas Sarkozy). Ces débats qui égratignent la statue du commandeur incommodent la CDU. Le parti soutient son ancienne présidente. “Il serait exagéré d’affirmer qu’Angela Merkel porte une part de responsabilité dans la guerre actuelle” a déclaré le secrétaire général du parti chrétien-démocrate ce week-end dans une interview.

-approvisionnement énergétique:

Berlin soutient l’abandon des importations de charbon russe décidé par Bruxelles et a négocié un mois supplémentaire avant l’entrée en vigueur de cette mesure. L’Allemagne a importé 18 millions de tonnes de charbon russe en 2021. Les remplacer ne sera pas trop compliqué même si l’addition devrait être plus élevée. Les importations de pétrole russe devraient prendre fin à l’automne. Cela sera plus long pour le gaz (d’ici 2024 officiellement) en raison d’une dépendance plus importante. La pression monte de plus en plus sur Berlin pour accepter un embargo sur cette source d’énergie. Mais l’Allemagne craint, comme d’autres pays en Europe, des conséquences économiques très négatives si une telle décision était prise.

La population semble prête à aller plus loin. 45% des Allemands estiment que les réactions de leur gouvernement contre l’invasion russe ne sont pas assez fermes (+18 points en un mois). La moitié des Allemands plaide pour un boycott des livraisons d’énergie russes contre 42% qui rejettent une telle décision. (sondage ARD/Deutschlandtrend)

-un programme d’aide aux entreprises :

Le gouvernement s’est mis d’accord sur différentes mesures pour venir en aide aux sociétés qui pâtissent des conséquences de la guerre en Ukraine notamment en raison des coûts plus élevés de l’énergie. Des subventions sont prévues liées à l’importance de la consommation en énergie des entreprises. Des garanties bancaires de 100 milliards profiteront aux sociétés du secteur énergétique.

-développement du renouvable:

“A Windrad (traduisez éolienne) a day keeps Putin away” : la une du quotidien de gauche cette semaine traduit la volonté du gouvernement à moyen terme. Le développement considérable des énergies renouvelables dans les années à venir ne permet pas seulement de lutter contre le réchauffement climatique mais aussi de réduire sur un plan géopolitique la dépendance de l’Allemagne à l’égard de la Russie.

Le paquet de mesures présenté cette semaine était annoncé avant la guerre en Ukraine. Il doit permettre au pays de quasiment doubler la part du renouvelable dans la production électrique d’ici 2030 (80% contre 42% aujourd’hui). Au sein même de la coalition, certains -chez les libéraux- ne croient pas que cela sera faisable.

Les parcs éoliens offshore doivent être massivement développés et leur production multipliée par quatre d’ici 2030. La production des éoliennes terrestres doit quasiment doubler. Une simplification des démarches administratives et la limitation des recours contre ces projets doivent permettre une accélération de leur construction. L’augmentation de la capacité pour le solaire doit exploser et passer de 60 Gigawatt aujourd’hui à 215.

-prise en charge des réfugiés :

Les Ukrainiens qui ont gagné l’Allemagne seront considérés à compter du 1er juin comme des demandeurs d’asile reconnus et auront droit à l’aide sociale ALG2 plus connue sous son petit nom Hartz 4. Cette allocation est plus élevée (446 Euros par mois plus prise en charge du loyer) que celle destinée aux demandeurs d’asile. Elle a aussi des conséquences financières. L’aide sociale est à la charge de l’Etat fédéral alors que les collectivités locales doivent payer les allocations pour les demandeurs d’asile. Berlinversera par ailleurs deux millards d’Euros aux Länder pour les coûts engendrés jusqu’à présent par l’hébergement des nouveaux arrivants comme pour la scolarisation des enfants.

Covid : sévères échecs pour le gouvernement

Chronique d’une défaite annoncée. C’est une peu comme cela qu’on pourrait présenter le camouflet subi cette semaine par le gouvernement et plus particulièrement le chancelier. Car Olaf Scholz lui même avait tourné casaque à l’automne et plaidé pour l’introduction d’une obligation vaccinale en Allemagne. Un revirement justifié par un taux de vaccination trop faible. Mais les résistances du parti libéral ont empêché la nouvelle coalition de présenter un projet de loi commun. Le parlement a produit plusieurs textes. A l’arrivée, celui soutenu par le chancelier en faveur d’une obligation vaccinale pour tous les Allemands de plus de 18 ans a été retoqué. Une proposition réduisant cette mesure aux personnes les plus fragiles, les plus de soixante ans, n’a pas non plus réussi à réunir une majorité.

“Débâcle pour Lauterbach” (le ministre de la Santé SPD)

Le ministre de la Santé est aussi le perdant de cette défaite. Karl Lauterbach a perdu une deuxième fois la face cette semaine en renonçant à la levée de la quarantaine pour les personnes infectées à partir du 1er mai. Les critiques étaient trop virulentes. Ironie de l’histoire, le scientifique a toujours plaidé dans le passé pour des mesures strictes pour endiguer l’épidémie.

Watergate version allemande

Le premier chancelier de l’Allemagne d’après-guerre, le chrétien-démocrate Konrad Adenauer, ne lésinait pas sur les méthodes pour être informé des activités de ses concurrents. D’après les travaux d’un historien présentés par le quotidien “Süddeutsche Zeitung” de Munich, Adenauer a fait espionner pendant plus de dix ans les sociaux-démocrates. Grâce à des agents au sein du SPD, le chancelier a reçu près de 500 rapports sur la stratégie du parti social-démocrate.

Des méthodes qui confirment les déviations des premières années de la RFA marquée par l’obsession de la guerre froide qui justifiait des pratiques douteuses. La personnalité autoritaire d’Adenauer est aussi à mentionner ainsi que le recours pour les grandes oreilles de l’Allemagne de l’Ouest à du personnel au passé souvent brunâtre.

Boris Becker, mauvais rebond

L’ex-star du tennis allemand, sextuple vainqueur de tournois du Grand Chelem et fort d’un palmarès de 49 titres, sera-t’il bientôt derrière les barreaux ? L’ancien sportif de 54 ans a été déclaré coupable vendredi à Londres de quatre chefs d’accusation liés à sa faillite personnelle. Fin avril, le jugement tombera. Becker risque sept ans de prison pour chacune des quatre infractions. Cette légende du sport baptisé à l’époque “boom boom Becker” a provoqué un engouement pour le tennis dans son pays, auparavant un sport réservé à une certaine élite. Après la fin de sa carrière, Boris Becker a travaillé comme commentateur et a entrainé son collègue Novak Djokovic. Mais le joueur a surtout fait parlé de lui pour ses mésaventures financières et fiscales, ses aventures extra-conjugales et autres tourments exploités à satiété par la presse populaire.

“Boris Becker coupable” titrait cette semaine “Bild Zeitung”
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